• Le vase où meurt cette verveine

    D'un coup d'éventail fut fêlé ;

    Le coup dut effleurer à peine :

    Aucun bruit ne l'a révélé.

     

    Mais la légère meurtrissure,

    Mordant le cristal chaque jour,

    D'une marche invisible et sûre

    En a fait lentement le tour.

     

    Son eau fraîche a fui goutte à goutte,

    Le suc des fleurs s'est épuisé ;

    Personne encore ne s'en doute ;

    N'y touchez pas, il est brisé.

     

    Souvent aussi la main qu'on aime,

    Effleurant le coeur, le meurtrit ;

    Puis le coeur se fend de lui-même,

    La fleur de son amour périt ;

     

    Toujours intact aux yeux du monde,

    Il sent croître et pleurer tout bas

    Sa blessure fine et profonde ;

    Il est brisé, n'y touchez pas.


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  • Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,

    Dans la nuit éternelle emportés sans retour,

    Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges

    Jeter l'ancre un seul jour ?

     

    Ô lac ! L'année à peine a fini sa carrière,

    Et près des flots chéris qu'elle devait revoir,

    Regarde ! je viens seul m'asseoir sur cette pierre

    Où tu la vis s'asseoir !

     

    Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,

    Ainsi tu te brisais sur leurs flancs déchirés,

    Ainsi le vent jetait l'écume de tes ondes

    Sur ses pieds adorés.

     

    Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;

    On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,

    Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence

    Tes flots harmonieux.

     

    Tout à coup des accents inconnus à la terre

    Du rivage charmé frappèrent les échos ;

    Le flot fut attentif, et la voix qui m'est chère

    Laissa tomber ces mots :

     

    " Ô temps ! Suspends ton vol, et vous, heures propices !

    Suspendez votre cours :

    Laissez-nous savourer les rapides délices

    Des plus beaux de nos jours !

     

    " Assez de malheureux ici-bas vous implorent,

    Coulez, coulez pour eux ;

    Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent ;

    Oubliez les heureux.

     

    " Mais je demande en vain quelques moments encore,

    Le temps m'échappe et fuit ;

    Je dis à cette nuit : Sois plus lente ; et l'aurore

    Va dissiper la nuit.

     

    " Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive,

    Hâtons-nous, jouissons !

    L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive ;

    Il coule, et nous passons ! "

     

    Temps jaloux, se peut-il que ces moments d'ivresse,

    Où l'amour à longs flots nous verse le bonheur,

    S'envolent loin de nous de la même vitesse

    Que les jours de malheur ?

     

    Eh quoi ! n'en pourrons-nous fixer au moins la trace ?

    Quoi ! passés pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !

    Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,

    Ne nous les rendra plus !

     

    Éternité, néant, passé, sombres abîmes,

    Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?

    Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes

    Que vous nous ravissez ?

     

    Ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure !

    Vous, que le temps épargne ou qu'il peut rajeunir,

    Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,

    Au moins le souvenir !

     

    Qu'il soit dans ton repos, qu'il soit dans tes orages,

    Beau lac, et dans l'aspect de tes riants coteaux,

    Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvages

    Qui pendent sur tes eaux.

     

    Qu'il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe,

    Dans les bruits de tes bords par tes bords répétés,

    Dans l'astre au front d'argent qui blanchit ta surface

    De ses molles clartés.

     

    Que le vent qui gémit, le roseau qui soupire,

    Que les parfums légers de ton air embaumé,

    Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,

    Tout dise : Ils ont aimé !


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  • Oh ! combien de marins, combien de capitaines
    Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
    Dans ce morne horizon se sont évanouis !
    Combien ont disparu, dure et triste fortune !
    Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
    Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !

    Combien de patrons morts avec leurs équipages !
    L'ouragan de leur vie a pris toutes les pages
    Et d'un souffle il a tout dispersé sur les flots !
    Nul ne saura leur fin dans l'abîme plongée.
    Chaque vague en passant d'un butin s'est chargée ;
    L'une a saisi l'esquif, l'autre les matelots !

    Nul ne sait votre sort, pauvres têtes perdues !
    Vous roulez à travers les sombres étendues,
    Heurtant de vos fronts morts des écueils inconnus.
    Oh ! que de vieux parents, qui n'avaient plus qu'un rêve,
    Sont morts en attendant tous les jours sur la grève
    Ceux qui ne sont pas revenus !

    On s'entretient de vous parfois dans les veillées.
    Maint joyeux cercle, assis sur des ancres rouillées,
    Mêle encor quelque temps vos noms d'ombre couverts
    Aux rires, aux refrains, aux récits d'aventures,
    Aux baisers qu'on dérobe à vos belles futures,
    Tandis que vous dormez dans les goémons verts !

    On demande : - Où sont-ils ? sont-ils rois dans quelque île ?
    Nous ont-ils délaissés pour un bord plus fertile ? -
    Puis votre souvenir même est enseveli.
    Le corps se perd dans l'eau, le nom dans la mémoire.
    Le temps, qui sur toute ombre en verse une plus noire,
    Sur le sombre océan jette le sombre oubli.

    Bientôt des yeux de tous votre ombre est disparue.
    L'un n'a-t-il pas sa barque et l'autre sa charrue ?
    Seules, durant ces nuits où l'orage est vainqueur,
    Vos veuves aux fronts blancs, lasses de vous attendre,
    Parlent encor de vous en remuant la cendre
    De leur foyer et de leur coeur !

    Et quand la tombe enfin a fermé leur paupière,
    Rien ne sait plus vos noms, pas même une humble pierre
    Dans l'étroit cimetière où l'écho nous répond,
    Pas même un saule vert qui s'effeuille à l'automne,
    Pas même la chanson naïve et monotone
    Que chante un mendiant à l'angle d'un vieux pont !

    Où sont-ils, les marins sombrés dans les nuits noires ?
    O flots, que vous savez de lugubres histoires !
    Flots profonds redoutés des mères à genoux !
    Vous vous les racontez en montant les marées,
    Et c'est ce qui vous fait ces voix désespérées
    Que vous avez le soir quand vous venez vers nous!


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  • Ce toit tranquille, où marchent des colombes,

    Entre les pins palpite, entre les tombes;

    Midi le juste y compose de feux.

    La mer, la mer, toujours recommencée

    Ô récompense après une pensée,

    Qu'un long regard sur le calme des dieux!

     

    Quel pur travail de fins éclairs consume

    Maint diamant d'imperceptible écume,

    Et quelle paix semble se concevoir!

    Quand sur l'abîme un soleil se repose,

    Ouvrages purs d'une éternelle cause,

    Le temps scintille et le songe est savoir.

     

    Stable trésor, temple simple à Minerve,

    Masse de calme, et visible réserve,

    Eau sourcilleuse, Oeil qui garde en toi

    Tant de sommeil sous une voile de flamme,

    O mon silence! . . . Édifice dans l'âme,

    Mais comble d'or aux mille tuiles, Toit!

     

    Temple du Temps, qu'un seul soupir résume,

    À ce point pur je monte et m'accoutume,

    Tout entouré de mon regard marin;

    Et comme aux dieux mon offrande suprême,

    La scintillation sereine sème

    Sur l'altitude un dédain souverain.

     

    Comme le fruit se fond en jouissance,

    Comme en délice il change son absence

    Dans une bouche où sa forme se meurt,

    Je hume ici ma future fumée,

    Et le ciel chante à l'âme consumée

    Le changement des rives en rumeur.

     

    Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change!

    Après tant d'orgueil, après tant d'étrange

    Oisiveté, mais pleine de pouvoir,

    Je m'abandonne à ce brillant espace,

    Sur les maisons des morts mon ombre passe

    Qui m'apprivoise à son frêle mouvoir.

     

    L'âme exposée aux torches du solstice,

    Je te soutiens, admirable justice

    De la lumière aux armes sans pitié!

    Je te tends pure à ta place première,

    Regarde-toi! . . . Mais rendre la lumière

    Suppose d'ombre une morne moitié.

     

    O pour moi seul, à moi seul, en moi-même,

    Auprès d'un coeur, aux sources du poème,

    Entre le vide et l'événement pur,

    J'attends l'écho de ma grandeur interne,

    Amère, sombre, et sonore citerne,

    Sonnant dans l'âme un creux toujours futur!

     

    Sais-tu, fausse captive des feuillages,

    Golfe mangeur de ces maigres grillages,

    Sur mes yeux clos, secrets éblouissants,

    Quel corps me traîne à sa fin paresseuse,

    Quel front l'attire à cette terre osseuse?

    Une étincelle y pense à mes absents.

     

    Fermé, sacré, plein d'un feu sans matière,

    Fragment terrestre offert à la lumière,

    Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,

    Composé d'or, de pierre et d'arbres sombres,

    Où tant de marbre est tremblant sur tant d'ombres;

    La mer fidèle y dort sur mes tombeaux!

     

    Chienne splendide, écarte l'idolâtre!

    Quand solitaire au sourire de pâtre,

    Je pais longtemps, moutons mystérieux,

    Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,

    Éloignes-en les prudentes colombes,

    Les songes vains, les anges curieux!

     

    Ici venu, l'avenir est paresse.

    L'insecte net gratte la sécheresse;

    Tout est brûlé, défait, reçu dans l'air

    A je ne sais quelle sévère essence . . .

    La vie est vaste, étant ivre d'absence,

    Et l'amertume est douce, et l'esprit clair.

     

    Les morts cachés sont bien dans cette terre

    Qui les réchauffe et sèche leur mystère.

    Midi là-haut, Midi sans mouvement

    En soi se pense et convient à soi-même

    Tête complète et parfait diadème,

    Je suis en toi le secret changement.

     

    Tu n'as que moi pour contenir tes craintes!

    Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes

    Sont le défaut de ton grand diamant! . . .

    Mais dans leur nuit toute lourde de marbres,

    Un peuple vague aux racines des arbres

    A pris déjà ton parti lentement.

     

    Ils ont fondu dans une absence épaisse,

    L'argile rouge a bu la blanche espèce,

    Le don de vivre a passé dans les fleurs!

    Où sont des morts les phrases familières,

    L'art personnel, les âmes singulières?

    La larve file où se formaient les pleurs.

     

    Les cris aigus des filles chatouillées,

    Les yeux, les dents, les paupières mouillées,

    Le sein charmant qui joue avec le feu,

    Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,

    Les derniers dons, les doigts qui les défendent,

    Tout va sous terre et rentre dans le jeu!

     

    Et vous, grande âme, espérez-vous un songe

    Qui n'aura plus ces couleurs de mensonge

    Qu'aux yeux de chair l'onde et l'or font ici?

    Chanterez-vous quand serez vaporeuse?

    Allez! Tout fuit! Ma présence est poreuse,

    La sainte impatience meurt aussi!

     

    Maigre immortalité noire et dorée,

    Consolatrice affreusement laurée,

    Qui de la mort fais un sein maternel,

    Le beau mensonge et la pieuse ruse!

    Qui ne connaît, et qui ne les refuse,

    Ce crâne vide et ce rire éternel!

     

    Pères profonds, têtes inhabitées,

    Qui sous le poids de tant de pelletées,

    Êtes la terre et confondez nos pas,

    Le vrai rongeur, le ver irréfutable

    N'est point pour vous qui dormez sous la table,

    Il vit de vie, il ne me quitte pas!

     

    Amour, peut-être, ou de moi-même haine?

    Sa dent secrète est de moi si prochaine

    Que tous les noms lui peuvent convenir!

    Qu'importe! Il voit, il veut, il songe, il touche!

    Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,

    À ce vivant je vis d'appartenir!

     

    Zénon! Cruel Zénon! Zénon d'Êlée!

    M'as-tu percé de cette flèche ailée

    Qui vibre, vole, et qui ne vole pas!

    Le son m'enfante et la flèche me tue!

    Ah! le soleil . . . Quelle ombre de tortue

    Pour l'âme, Achille immobile à grands pas!

     

    Non, non! . . . Debout! Dans l'ère successive!

    Brisez, mon corps, cette forme pensive!

    Buvez, mon sein, la naissance du vent!

    Une fraîcheur, de la mer exhalée,

    Me rend mon âme . . . O puissance salée!

    Courons à l'onde en rejaillir vivant.

     

    Oui! grande mer de délires douée,

    Peau de panthère et chlamyde trouée,

    De mille et mille idoles du soleil,

    Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,

    Qui te remords l'étincelante queue

    Dans un tumulte au silence pareil

     

    Le vent se lève! . . . il faut tenter de vivre!

    L'air immense ouvre et referme mon livre,

    La vague en poudre ose jaillir des rocs!

    Envolez-vous, pages tout éblouies!

    Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies

    Ce toit tranquille où picoraient des focs!


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  • Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères,
    Des divans profonds comme des tombeaux,
    Et d'étranges fleurs sur des étagères,
    Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.

    Usant à l'envi leurs chaleurs dernières,
    Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,
    Qui réfléchiront leurs doubles lumières
    Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

    Un soir fait de rose et de bleu mystique,
    Nous échangerons un éclair unique,
    Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux ;

    Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes,
    Viendra ranimer, fidèle et joyeux,
    Les miroirs ternis et les flammes mortes.


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