• Donne-moi tes mains pour l'inquiétude
    Donne-moi tes mains dont j'ai tant rêvé
    Dont j'ai tant rêvé dans ma solitude
    Donne-moi te mains que je sois sauvé

    Lorsque je les prends à moi propre piège
    De paume et de peur de hâte et d'émoi
    Lorsque je les prends comme une eau de neige
    Qui fuit de partout dans mes main à moi
    Sauras-tu jamais ce qui me traverse
    Qui me bouleverse et qui m'envahit
    Sauras-tu jamais ce qui me transperce
    Ce que j'ai trahi quand j'ai tressailli
    Ce que dit ainsi le profond langage
    Ce parler muet de sens animaux
    Sans bouche et sans yeux miroir sans image
    Ce frémir d'aimer qui n'a pas de mots
    Sauras-tu jamais ce que les doigts pensent
    D'une proie entre eux un instant tenue
    Sauras-tu jamais ce que leur silence
    Un éclair aura connu d'inconnu
    Donne-moi tes mains que mon coeur s'y forme
    S'y taise le monde au moins un moment
    Donne-moi tes mains que mon âme y dorme
    Que mon âme y dorme éternellement..


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  • Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
    Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
    Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
    Le navire glissant sur les gouffres amers.

    A peine les ont-ils déposés sur les planches,
    Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
    Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
    Comme des avirons traîner à côté d'eux.

    Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
    Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
    L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
    L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !

    Le Poète est semblable au prince des nuées
    Qui hante la tempête et se rit de l'archer ;
    Exilé sur le sol au milieu des huées,
    Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.


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  • Oh ! si l'homme naissait deux fois à la lumière,
    Que je tenterais peu les destins du nocher !
    Et de quel soin plus doux que ma chaîne première,
    J'attacherais mes jours au seuil de la chaumière
    Comme l'huître au rocher.

    Non, je ne suivrais plus une proue écumante
    Qui broie en poudre d'or les flots étincelants,
    Et je n'épierais plus, de la vague fumante,
    Le phoque au regard bleu qui crie et se lamente
    Sur ses rochers tout blancs.

    Non, jamais je n'irais sur la foi d'une prame,
    Jouer ma vie errante au caprice des eaux ;
    Non, jamais l'Océan n'humecterait ma rame,
    Quand le temps recoudrait tous les noeuds de ma trame
    A d'éternels fuseaux.

    Qu'ai-je fait sur la mer et qu'y ferais-je encore ?
    Quelle moisson produit le flot que j'ai frayé ?
    De quelle île propice ai-je gravi l'accore,
    Et le sang répandu dont la pourpre décore,
    Quel prix me l'a payé ?

    Est-ce braver assez de ciels et de Neptunes,
    Léguer à mille écueils d'assez tristes lambeaux,
    Avoir assez commis de changeantes fortunes
    Aux vents que fatiguaient nos voiles importunes,
    Pour trouver des tombeaux ?

    Qui mieux que moi pourtant sut calfater l'étrave,
    Haler sur la bouline ou tenir le timon ?
    Et, pour nous déborder d'un mauvais fond de grave
    Qui fut jamais plus prêt, plus adroit et plus brave
    A tourner l'artimon ?

    Qui mieux que moi surtout, et d'une main moins lente,
    Sut jeter sur la prise un grappin triomphant,
    Quand la lame bondit sous la nef chancelante,
    Et qu'aux efforts des airs une vergue hurlante
    Vagit comme un enfant ?

    Mais mon coeur s'envolait au sil de la carène
    Comme une jeune abeille aux parfums de l'Hybla,
    Et j'aurais délaissé les amours d'une reine,
    Pour affronter de près les chants de la sirène,
    Et les chiens de Scylla.

    Car je lisais Homère, et mon âme empressée
    Des froids âpres de l'Ourse et des feux du Lion,
    N'avait pas un désir et pas une pensée
    Qui ne prisât plus haut les travaux d'Odyssée
    Que l'orgueil d'Ilion.

    Et, quand d'un vif essor je défiais les mousses,
    Comme un oiseau marin perché sur les huniers,
    Je ne voyais que bois tout veloutés de mousses,
    Et je rêvais partout l'abri des pamplemousses,
    Ëden des nautoniers.

    C'est ainsi qu'apparaît l'Océan de la rade.
    Le voyageur de mer est fou comme l'amant.
    Tout visage nouveau lui paraît camarade,
    Tout lougre, galion, et tout poisson dorade,
    Et tout roc diamant.

    Il en est autrement, quand bouillonne la houle,
    Quand le grain élargi noircit ses flancs massifs,
    Quand la foudre s'abat sur le mât qui s'écroule,
    Et quand, ras comme un bac, le vaisseau sombre ou roule
    De récifs en récifs.

    Aujourd'hui, bon espoir vous reste à la hélée ;
    Les marcheurs ont leur cap en plein de votre bord,
    Et si quelque lutin, tapi sur la coulée,
    N'égare pas encor leur aiguille affolée,
    Vous surgirez au port.

    La nature prodigue, à vos chasses heureuses
    Promet les albatros et les fous étourdis,
    Sous des pitons, chargés de mouettes peureuses,
    D'où tombent frissonnant les petits des macreuses
    Par le froid engourdis.

    La tortue arrondit ses épaules nacrées
    Sous cette herbe marine aux mobiles scions,
    Et des cayeux béants les bouches déchirées
    Vous livreront ce soir, au reflux des marées,
    Le nid des alcyons.

    Moi, j'ai filé du câble, et ma tâche est remplie.
    J'ai serré trop de lofs, j'ai rasé trop de bancs,
    Et j'ai trop entendu grincer l'aigre poulie,
    Quand l'aquilon mordant sous qui le beaupré plie
    Siffle dans les haubans.

    J'ai changé maintenant de projet et d'allure,
    Et, quand vous vogueriez aux jardins de Circé,
    Je prends pic. J'ai ferlé ma dernière voilure,
    Et je n'étendrais pas d'une seule encablure
    Mon trajet insensé.

    J'ai cherché comme vous, marinier intrépide,
    Le péril pour l'argent, l'argent pour le péril.
    Que me fait désormais la perle à l'oeil limpide,
    Et l'opale inconstante où brille un feu rapide,
    Et l'azur du béryl ?

    En quelque lieu nouveau que le destin vous porte,
    Dieu vous gard'. Mon espoir n'en a plus de souci.
    Un esprit de malheur s'est assis à ma porte.
    Mon toit est déserté. Ma pauvre femme est morte.
    Ma fille l'est aussi.

    Et quand, au champ natal que vient baigner la Manche,
    Les Gémeaux protecteurs me conduiraient tout seul,
    Verrais-je Marguerite en habits de dimanche,
    Pour son bonnet de fête et pour sa robe blanche
    Dépouiller son linceul ?

    Ma Lise viendrait-elle, espiègle et rebondie,
    D'un pas alerte et sûr aider mes pas pesants ?
    Et moi qui me flattais de la trouver grandie,
    Car on n'a jamais vu de vague plus hardie
    Danser sur les brisants !

    Je ne conterais plus au feu de la veillée,
    Ce que pour les revoir un père peut oser ;
    La mère palpitante, et de larmes mouillée,
    Tandis que la petite à ma joue éraillée
    Collerait un baiser !...

    " Apporte-moi, dit-elle, une perruche verte !... "
    Qui la demanderait de l'oeil et de la main ?
    Lise est morte ! - Adieu donc ! Adieu, la Découverte !
    Mais une salve encore à la tombe entr'ouverte
    Où je couche demain !


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  • Je suis l'esprit, vivant au sein des choses mortes.
    Je sais forger les clefs quand on ferme les portes ;
    Je fais vers le désert reculer le lion ;
    Je m'appelle Bacchus, Noé, Deucalion ;
    Je m'appelle Shakspeare, Annibal, César, Dante ;
    Je suis le conquérant ; je tiens l'épée ardente,
    Et j'entre, épouvantant l'ombre que je poursuis,
    Dans toutes les terreurs et dans toutes les nuits.
    Je suis Platon, je vois ; je suis Newton, je trouve.
    Du hibou je fais naître Athène, et de la louve
    Rome ; et l'aigle m'a dit : Toi, marche le premier !
    J'ai Christ dans mon sépulcre et Job sur mon fumier.
    Je vis ! dans mes deux mains je porte en équilibre
    L'âme et la chair ; je suis l'homme, enfin maître et libre !
    Je suis l'antique Adam ! j'aime, je sais, je sens ;
    J'ai pris l'arbre de vie entre mes poings puissants ;
    Joyeux, je le secoue au-dessus de ma tête,
    Et, comme si j'étais le vent de la tempête,
    J'agite ses rameaux d'oranges d'or chargés,
    Et je crie : " Accourez, peuples ! prenez, mangez ! "
    Et je fais sur leurs fronts tomber toutes les pommes ;
    Car, science, pour moi, pour mes fils, pour les hommes,
    Ta sève à flots descend des cieux pleins de bonté,
    Car la Vie est ton fruit, racine Éternité !
    Et tout germe, et tout croît, et, fournaise agrandie,
    Comme en une forêt court le rouge incendie,
    Le beau Progrès vermeil, l'oeil sur l'azur fixé,
    Marche, et tout en marchant dévore le passé.
    Je veux, tout obéit, la matière inflexible
    Cède ; je suis égal presque au grand Invisible ;
    Coteaux, je fais le vin comme lui fait le miel ;
    Je lâche comme lui des globes dans le ciel.
    Je me fais un palais de ce qui fut ma geôle ;
    J'attache un fil vivant d'un pôle à l'autre pôle ;
    Je fais voler l'esprit sur l'aile de l'éclair ;
    Je tends l'arc de Nemrod, le divin arc de fer,
    Et la flèche qui siffle et la flèche qui vole,
    Et que j'envoie au bout du monde, est ma parole.
    Je fais causer le Rhin, le Gange et l'Orégon
    Comme trois voyageurs dans le même wagon.
    La distance n'est plus. Du vieux géant Espace
    J'ai fait un nain. Je vais, et, devant mon audace,
    Les noirs titans jaloux lèvent leur front flétri ;
    Prométhée, au Caucase enchaîné, pousse un cri,
    Tout étonné de voir Franklin voler la foudre ;
    Fulton, qu'un Jupiter eût mis jadis en poudre,
    Monte Léviathan et traverse la mer ;
    Galvani, calme, étreint la mort au rire amer ;
    Volta prend dans ses mains le glaive de l'archange
    Et le dissout ; le monde à ma voix tremble et change ;
    Caïn meurt, l'avenir ressemble au jeune Abel ;
    Je reconquiers Éden et j'achève Babel.
    Rien sans moi. La nature ébauche ; je termine.
    Terre, je suis ton roi.


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  • Des vastes mers tableau philosophique,
    Tu plais au coeur de chagrins agité :
    Quand de ton sein par les vents tourmenté,
    Quand des écueils et des grèves antiques
    Sortent des bruits, des voix mélancoliques,
    L'âme attendrie en ses rêves se perd,
    Et, s'égarant de penser en penser,
    Comme les flots de murmure en murmure,
    Elle se mêle à toute la nature :
    Avec les vents, dans le fond des déserts,
    Elle gémit le long des bois sauvages,
    Sur l'Océan vole avec les orages,
    Gronde en la foudre, et tonne dans les mers.

    Mais quand le jour sur les vagues tremblantes
    S'en va mourir ; quand, souriant encor,
    Le vieux soleil glace de pourpre et d'or
    Le vert changeant des mers étincelantes,
    Dans des lointains fuyants et veloutés,
    En enfonçant ma pensée et ma vue,
    J'aime à créer des mondes enchantés
    Baignés des eaux d'une mer inconnue.
    L'ardent désir, des obstacles vainqueur,
    Trouve, embellit des rives bocagères,
    Des lieux de paix, des îles de bonheur,
    Où, transporté par les douces chimères,
    Je m'abandonne aux songes de mon coeur.


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